« Verger ou biodiversité : le dilemme des chauves-souris à Maurice »
« Verger ou biodiversité : le dilemme des chauves-souris à Maurice »

Chaque année, des chauves-souris frugivores, essentielles à la pollinisation et à la dispersion des graines, meurent massivement dans des filets destinés à protéger les récoltes. Selon l’ornithologue Narainsamy Ramen, cette politique de compensation, mal conçue, aggrave le problème qu’elle prétend résoudre.
Des fruits gaspillés et des chauves-souris en danger
Avant l’aube, dans les vergers et jardins, les fruits jonchent le sol : litchis, mangues, papayes, longanes ou jamblons sont à moitié mordus puis abandonnés. Dans les arbres, des roussettes piégées luttent pour survivre, parfois avec leurs petits encore accrochés sous leurs ailes.
« Des chauves-souris capturées avec leurs petits, ce n’est pas de la gestion, c’est de la cruauté », dénonce Narainsamy Ramen, ornithologue formé par la Royal Air Force et observateur de la faune mauricienne depuis des décennies.
Le paradoxe est cruel : pour protéger leurs récoltes, les habitants déciment les principaux pollinisateurs longue distance et disperseurs de graines de l’île. Résultat : les fruits pourrissent toujours sur le sol et des centaines de roussettes meurent chaque année.
Une politique de compensation mal pensée
Face à la prolifération des roussettes dans les zones urbaines et agricoles, le gouvernement a instauré un système de compensation encourageant le filetage des arbres. Mais cette mesure s’est transformée en catastrophe écologique, selon Narainsamy Ramen.
Les filets sont souvent mal tendus, troués ou inadaptés, piégeant les chauves-souris sans possibilité d’échapper. Les inspections sont rares, et chaque mère piégée signifie la perte de deux générations potentielles, puisque les roussettes ne produisent qu’un seul petit par an. Pendant ce temps, 70 à 80 % des fruits tombent toujours prématurément, laissant les familles, les agriculteurs et les propriétaires de vergers démunis.
Traiter le symptôme plutôt que la cause
Pour l’ornithologue, le problème n’est pas que les chauves-souris consomment les fruits, mais que leur habitat naturel a été réduit par la déforestation et la disparition des espèces fruitières indigènes. Les roussettes migrent donc vers les zones habitées où les ressources sont concentrées.
« Le gouvernement répond aux dégâts sur les fruits plutôt qu’à la perte des habitats », explique Narainsamy Ramen. La politique actuelle ignore le rôle écologique crucial de ces chauves-souris : elles sont les garantes de la reproduction naturelle des arbres fruitiers et des forêts mauriciennes.
Des solutions concrètes existent
Narainsamy Ramen propose plusieurs mesures pour protéger les roussettes tout en limitant les pertes agricoles :
- Normes strictes pour les filets et inspections régulières.
- Filetage partiel et ciblé, uniquement pendant la fructification maximale.
- Méthodes alternatives : dispositifs ultrasoniques, répulsifs visuels ou éclairages stratégiques pour décourager les visites sans tuer les chauves-souris.
- Réforme du système de compensation pour récompenser l’installation correcte et l’entretien des filets, plutôt que leur simple pose.
- Restaurer les forêts indigènes et créer des corridors alimentaires éloignés des zones habitées pour fournir des sources alternatives de nourriture.
L’urgence d’agir
Si les roussettes continuent de mourir au rythme actuel, la pollinisation et la dispersion des graines chuteront, menaçant directement la production fruitière et la régénération naturelle des forêts. « Chaque chauve-souris piégée supprime un travail écologique que les agriculteurs ne peuvent remplacer artificiellement », avertit Narainsamy Ramen.
Maurice est à un tournant écologique : continuer sur cette voie mènera à un déclin simultané des roussettes et de la production fruitière, alors que ces espèces sont vitales pour l’équilibre des écosystèmes et la sécurité alimentaire.
